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François Piquemal

Militant aux Motivé-e-s - 2005-2008

Inculpé du Mirail en 2009

Enseignant de Lettres-Histoire-Géographie en Lycée Pro depuis 2012

Militant au DAL depuis 2010

Porte-parole du DAL 31 depuis 2014

"De cette période militante d’avant le DAL, je retiens une chose, c’est qu’avant ma vie c'était un yaourt nature et que la lutte m'a passé la confiture. Même si parfois elle était aux oranges amer j’aurais maintenant du mal à m’en passer et à ne pas y revenir. J’ai trouvé du sens".

Enfance :

Je viens d’une famille de classe moyenne assez hétérogène.

Mes parents n’étaient pas des militants politiques ou syndicaux mais ils étaient conscientisés et dans ma famille on a toujours voté à gauche, du moins dans mon cercle proche.

Dans tout engagement il y a souvent trois paramètres, le déterminisme social et/ou familial, les rencontres et parfois, moins identifié, un ressort intime. Enfant j’étais au catéchisme, ce n’était pas une volonté de ma famille mais je l’avais décidé de moi-même, je cherchais déjà un sens au monde quelque part. Ça a eu son importance parce que ce fil « catholique social » je l’ai retrouvé plus tard sur la question du logement, avec une figure comme l’Abbé Pierre.

D’ailleurs je me souviens qu’enfant il y avait des choses que je ne comprenais pas trop, des attitudes humaines qui étaient en contradiction avec ma foi d’alors. Un événement marquant : je devais avoir 6 ans, nous marchons dans la rue avec ma mère, il y a un sans-abri en train de crier; je ne comprends pas ce qu’il se passe, je ne sais même pas ce que c’est un « sans-abri », mais ce que je comprends encore moins c’est que les gens passent et se contraignent à ne pas le regarder et s’arrêter, c’est ce malaise là que je trouve alors vraiment étrange. Je me souviens qu’à ce moment-là j’ai ressenti beaucoup d’incompréhension face au monde des adultes.

 

Le second fait marquant c’est l’évacuation des sans-papiers de St Bernard. Marquant parce que médiatisé et parce que ma mère en est assez affectée, et j’ai vraiment du mal à saisir comment on peut expulser des gens d’une église (j’étais toujours assidu aux cours de catéchisme) pour une histoire de papiers. On disait « sans-papiers », mais comment conditionner la vie de personnes à des papiers ? Comme NTM l’a bien résumé « Il n’y a qu’ici que dans les églises, les CRS peuvent faire des perquiz, preuve que chez nous on se dé-civilise ».

 

Vidéo : 23 août 1996, évacuation de l'église Saint Bernard

Ce sont deux marqueurs dans mon enfance qui m’ont fait m’intéresser aux questions liées aux personnes sans-abris et aux personnes qui ont quitté leur pays. Essayer de comprendre le chemin qu’elles ont parcouru et leur réception par notre société.

 

La période catéchisme est passée avec l’adolescence. Ado j’ai fait trois collèges, trois lycées, je bougeais beaucoup, je ne tenais pas en place. Je m’ennuyais pas mal à l’école, et je pressentais les injustices qu’elle peut reproduire, j’étais ce que l’on appelle un élève « difficile ».

Je trouve absurde d'être assis 7 à 8 h par jour alors que c'est des périodes justement où tu as besoin de faire autre chose, que ce soit du sport ou des activités sociales, culturelles. Je traîne avec mes amis, on écoute du Rap, ce qui participe à ma conscientisation. Des albums comme « L'école du micro d'argent » d'IAM et « L'ombre sur la mesure » de la Rumeur, c'est équivalent à la lecture de Marx et Frantz Fanon ; c'est par ce biais-là surtout que je suis arrivé à avoir des lectures politiques qui allaient au-delà de la musique, parce que sinon j'étais déconnecté du milieu militant. Je savais vaguement que des syndicats existaient, grâce aux manifs qui agitaient parfois les lycées, notamment lors du second tour de 2002, mais tout cela me semblait vraiment lointain.

 

Et puis il y a eu le Traité Constitutionnel Européen en 2005, qui a scindé les partis et les personnes se disant de gauche. Moi je savais que j’étais de gauche mais je ne savais pas où j'étais, et là quelque part, ça m’a permis de trancher. Je me suis beaucoup documenté, c’était mon premier vote, et c’était « Non ».

 

Motivé-e-s :

J’arrive à Toulouse en 2005, pour la fac, je suis ma petite amie de l’époque.

Je savais en suivant le groupe Zebda, qu’une liste originale s’était présentée aux municipales, « Les Motivé.e.s », qui avait comme principales thématiques la démocratie participative et les quartiers populaires. Cette période 96-2001, il y a un tempo dans l’air, les Forums Sociaux Mondiaux, Attac qui se crée, José Bové et la lutte contre les OGM, Porto Alegre, des révoltes en Kabylie, Manu Chao… et puis à Toulouse, les Motivés. J’accroche.

Motivé-e-s est un mouvement politique français local de gauche créé à Toulouse, à l'initiative notamment de membres du groupe de musique Zebda.

C’est comme ça que j’arrive à leur local. Je me souviens quand je rente au bureau des Motivé.e.s, je n'ai aucun code militant, je leur dit, « voilà, je veux adhérer », aucune question préalable. Ils sont surpris, parce que c'est 4 ans après les municipales et qu'il y a un gros creux militant dans leurs rangs. Ils ont dû se dire « mais d’où il sort celui-là » (rire). Je vais aux réunions, on n’est pas très nombreux, mais je suis le fil, je donne un coup de main et surtout j’apprends. En 2007 je deviens salarié, tiers temps, « Secrétaire de direction », j’aide les conseillers municipaux sur les dossiers qu'ils présentent au conseil municipal. On organise aussi des événements comme les Forums des Quartiers Populaires avec d’autres organisations d’autres villes : le MIB, Justice pour le Petit Bard à Montpellier. Je lie mon militantisme à mes études, j’écris un de mes mémoires d’Histoire sur La Marche pour l’Egalité et contre le Racisme de 1983.

 

Les Motivé.e.s ! Ça s’est arrête en 2008. suite aux élections municipales. Ceux qui étaient là depuis le début sont fatigués, le travail de conseiller municipal d'opposition est très ingrat dans le sens où tu te fades quand-même beaucoup d'analyses pour qu'au final peu de gens s'y intéressent. Finalement un certain état d’esprit Motivés continue à souffler sur la ville, des ancien-e-s s’étant investis à Attac, Takticollecif, Case de Santé, DAL, etc.

Récemment avec Salah Amokrane et Ali Tehar nous avons organisé un débat sur la question du trafic de drogue, on fait encore des choses ensemble ponctuellement, en fonction de nos agendas aussi. Les liens tiennent.

 

Mirail

​En parallèle de cet engagement il y a la fac, je suis au Mirail dans une période faste syndicalement parlant. Entre 2005 et 2010 il y a trois mouvements de grève importants : le CPE, LRU 1 et LRU 2 (Libertés et Responsabilités des Universités). C'est là que je me suis aussi formé politiquement parce qu'il y a des syndicats différents : l'UNEF, L'AGET-FSE, SUD, ceux qu'on appelle « Les autonomes » (et en leur sein des courants divers qui s'entendent plus ou moins bien entre eux), les JC, les JCR qui sont en expansion avec la figure d’Olivier Besancenot. J’apprends les différences politiques et les stratégies de chacun dans ce que l’on nomme le mouvement social.

 

Je ne me syndique ou ne m’affilie pas à l’un d’eux parce que je pressens que l’appartenance à un syndicat ou un parti m’entraînerait dans des querelles que je trouve souvent accessoires. Le folklore militant me rebute aussi à vrai dire. Cela ne m’empêche pas d’avoir un respect énorme pour le travail syndical de certains, et la transmission des savoirs comme monter une action. Comment ça se déroule, jusqu’où elle va, comment faire en sorte que la confiance collective ne soit pas trahie, tu apprends tout ça en pratiquant avec les autres.

 

Au Mirail ma dernière grève c’est 2009, au retour d’un semestre à Buenos Aires où j’ai papillonné entre les différents mouvements sociaux qui y existaient. Cette grève a été plus longue qu’en 68 paraît-il au sein de l’université. Très forte en terme de contenu politique, de réflexion, de nouveauté des formes. Ça s’est fini par une intervention policière et de la répression. Un procès a été intenté par la direction de l’université à sept d’entre nous. On est pour certains accusés d’avoir volé des Pepitos et de la papeterie (c’est réellement les actes d’accusation), moi je suis accusé d’avoir tenté de voler une photocopieuse… C’est la première fois que je me retrouve dans un Tribunal, il y a un contexte lourd, parce que c’est sous Sarkozy, la ministre de l’enseignement supérieur est Valérie Pécresse, on a su par la suite que c’est à ce niveau qu’ils ont demandé à ce qu’il y ait des sanctions assez exemplaires pour les étudiants qui ont participé de manière active à ce mouvement. Le procureur qui poursuit est M. Boyer, tristement connu pour les propos racistes qu’il a tenu à Nîmes, sa punition c’est d’être muté à Toulouse...

 

Au premier procès on écope de peines lourdes en proportion des faits reprochés : tout le monde a du sursis, jusqu’à 18 mois pour l’un d’entre nous. Ils nous collent 30 000 euros d’amende. C’est dur, d’autant plus que pas mal d’entre nous commencent à passer les concours dans la fonction publique et qu’un casier judiciaire inscrit nous empêche l’accès à celle-ci. On fait bien sûr appel de la décision, on change de stratégie aussi, plus offensive et revendicative. Maître Ethelin est convainquant au tribunal, comme souvent, le dossier ne tenait pas debout de toute façon l’immense majorité des accusations étaient fausses, on a quasiment tous été relaxés, avec ce qui avait été récolté lors concerts des soutiens on a ou payer les amendes des autres.

Il y a eu d’autres facettes répressive car en plus du procès des « sept », je me suis vu retirer mystérieusement un contrat de travail que je venais de signer pour être vacataire. J’ai poursuivi au Prud’homme et trois ans plus tard l’Université a été condamnée à me verser 1000 euros . La troisième facette a été plus collective, beaucoup d’étudiant-e-s identifié-e-s sur le mouvement n’ont pas bénéficié des notes banalisées sur certaines UE. Contraints de redoubler leurs années quand tout le reste des promos bénéficiait elle de ces notes, ça a été aussi mon cas.

Mais tout cela est bien peu à côté de l’injustice qu’a subi un autre militant, Joan, qui lui a été touché par un tir de flash ball en pleine figure et a perdu la vue d’un œil sur une action, alors qu’il ne présentait aucun danger pour quiconque. Il n’a jamais obtenu que le policier auteur de cette faute, reconnue, soit condamné, et bientôt dix ans après la seule injustice que je ressens un peu à vif de cette période, c’est cette impunité.

D’autant que je me souviens précisément de la scène et du sang. Que l’on soit clair, je ne suis pas anti-flic, c’est parce qu’au contraire j’ai une haute idée de la fonction que je n’accepte pas l’impunité et l’utilisation d’armes disproportionnées. C’était un des premiers tirs de flash balls, les manifestants et les Ultras en ont fait les frais par la suite, signe d’une répression qui a aussi changée, plus clinique en quelque sorte. Aujourd’hui les grands médias parlent de violence à tout va : chemise arrachée, trafic bloqué, vitrine brisée, mais ce n’est que de la violence matérielle, la vraie violence elle est aux personnes, dans les corps. Les corps de ceux qui prennent des coups de tonfas ou des tirs de flash ball, les corps de celles et ceux qui perdent leur vie à la gagner.

 

La page Mirail est tournée, je ne regrette rien, tout ce contre quoi on se battait est hélas advenu : la sélection, les coupes budgétaires. A l’époque on nous traitait de « gauchistes qui fantasment ».

J’aurais bien aimé que se soit vrai mais les faits nous ont donné raison, aujourd’hui les personnels du Mirail ne savent pas quand tombera leur prochain salaire, les lycéens ne savent pas s’ils pourront accéder aux études qu’ils souhaitent. On en est là.

 

Autant dire que ma dernière année à la fac je suis personna non grata. L’hypothèse d’un doctorat a de fait du plomb dans l’aile, certains trop identifiés ont d’ailleurs dû aller le faire ailleurs. De toute façon j’ai 24 ans, j’ai envie de passer à autre chose, j’ai un M2 d’Histoire et une L3 de Géographie il est naturel pour moi d’aller vers les concours de l’enseignement, histoire d’essayer de devenir professeur, un peu pour l’élève que j’étais.

 

De cette période militante d’avant le DAL, je retiens une chose, c’est qu’avant ma vie c'était un yaourt nature et que la lutte m'a passé la confiture. Même si parfois elle était aux oranges amer j’aurais maintenant du mal à m’en passer et à ne pas y revenir. J’ai trouvé du sens.

 

Le DAL

Très vite au milieu des concours, je m’engage petit à petit au DAL (Droit Au Logement), un peu par hasard aussi, suite à un problème de logement que nous avons dans ma colocation. J’ai été demandé conseil à la permanence et grâce à ceux-ci on a trouvé un compromis avec le propriétaire nous exonérant de six mois de loyers.

 

De ce pas je me suis renseigné sur l’asso car ce que j’y ai vu m’intéresse, et en fouillant sur internet je tombe sur une vidéo. Ça se passe à la Courneuve, des mères de familles, adhérentes du DAL, qui se font expulser et qui décident de faire un sitting en bas de leur immeuble. Les policiers les tirent manu militari, très violemment, on sent d’ailleurs sur la vidéo que les policiers sont plus perdus que les femmes qui se tiennent les unes aux autres. Ce qui m’impressionne c’est leur détermination et l’organisation face à la violence policière. Je me suis dit à ce moment-là que c’était une asso qui assurait derrière, qui avait l’air carrée.

Vidéo - évacuation la Courneuve : https://www.dailymotion.com/video/xe63l2

 

Le troisième facteur c’est qu’à ce moment-là, la CREA (Collectif de Réquisition et d’Entre Aide) naît et je trouve très intéressant ce qu’ils initient, lié à une urgence sociale importante à Toulouse avec les forts taux de refus au 115 (2010/2011). Il y a la CREA mais aussi les « Enfants de Don Quichotte », le GPS (Groupement Pour la défense du travail Social) et le DAL. Tous ces mouvements sont très intéressants, mais s’ils ont un objectif en commun ils n’envisagent pas les mêmes manières de les atteindre et n’ont pas le mêmes pratiques, ce qui n’enlève rien à l’importance de chacun. C’est les pratiques et la structuration nationale du DAL qui achève de me convaincre d’y militer.

En m’y impliquant, je rencontre Brigitte Dall’ava (décédée depuis) qui m’a beaucoup appris, tant au niveau du savoir institutionnel lié au logement, que dans les rapports humains avec les mal-logés. Elle s’occupe alors des permanences d’accès aux droits qui sont les piliers de l’association, c’est un travail de l’ombre mais ô combien important.

 

L’hommage à Brigitte, militante historique du DAL Toulouse31, héroïne du quotidien : https://www.droitaulogement.org/2016/12/lhommage-a-brigitte-militante-historique-du-dal-toulouse31-heroine-du-quotidien/

Brigitte m’a appris des astuces et je me suis investi progressivement. Ce qui m’a plu aussi, c’est que tu n’es pas seulement dans un mouvement qui parle de changer le monde toute les semaines et se donne rendez-vous la semaine suivante. Tu es concrètement aux prises avec les gens concernés, sans-abris ou mal-logés. Tu es là pour faire en sorte que les gens reprennent la main sur leur accès aux droits en encourageant des luttes collectives.

J’ai découvert également le DAL Paris avec des gens marquants comme Jean Baptiste Eyraud, le porte-parole national, et puis le travail des autres comités qui peut parfois te donner des idées. La structuration nationale, voire internationale est quelque chose de très important à mes yeux. Par exemple le DAL fait partie de la Coalition Euroépenne pour le Droit au Logement qui regroupe des associations dans quasiment tous les pays européens,  d’un réseau inter-continental qui s’appelle No-Vox, animé par Annie Pourre, militante historique du DAL, et qui réunit des associations de base qui sont au Japon, au Québec ou en Afrique de l’Ouest. C’est  grâce à ce réseau que j’ai eu la chance d’aller au Mali.

No Vox est un réseau d’associations, de mouvements et d’organisations, qui mènent concrètement des luttes sociales sur le terrain. Fondé lors du 1er Forum social européen à Florence, le réseau a pris une dimension internationale lors du 1er Forum mondial de Porto Alegre en 2003. Ces mouvements de lutte sont composés de femmes et d’hommes qui s’auto-organisent pour la défense et l’application des droits fondamentaux définis par la déclaration universelle des droits de l’homme et pour faire naître de nouveaux droits :
http://www.no-vox.org/

[NO-VOX] : 26 mouvements aujourd’hui participent au réseau No-Vox

​Nos objectifs :

Le réseau travaille à la mise en œuvre d’un mouvement de solidarité internationale entre les luttes sociales présentes sur tous les continents. Les objectifs :


- construire un espace permanent d’échanges, de partage d’expériences et de pratiques entre les mouvements de lutte, en vue de favoriser des convergences et activer des solidarités concrètes,


- favoriser l’émergence d’une identité commune des « Sans » à travers la construction d’un mouvement mondial, où sur chaque continent se créent des foyers locaux, régionaux et nationaux entre les luttes,

- aider au renforcement des luttes pour l’égalité des droits,

- participer et prendre en compte les revendications des « sans » et des mouvements de lutte des « sans » dans les forums sociaux. Ce qui implique de les inclure dans les instances de décisions, les faire participer aux grandes plénières et les aider à financer leur déplacement.

L’enjeu est de créer des initiatives qui permettent de faire connaître les pratiques et les alternatives des différents mouvements et de susciter les convergences.

Mali

Il se trouve qu’en 2012, il est décidé par les associations d’Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina, Togo, Bénin, Cotes d’Ivoire…) de faire un Forum de la région ouest-africaine, pour cela ils ont demandé à Annie qu’une personne extérieure vienne pour filer un coup de main, six mois. Annie m’a proposé, j’ai sauté sur l’occasion, j’ai pris une année de report de stage et je suis parti fin Août 2012. C’est comme cela que j’arrive à l'Union, coordination de 130 associations, chacune d’elles regroupant plusieurs milliers de personnes à Bamako et ailleurs.


L'Union des Associations et des Coordinations d'associations pour le Développement et la Défense des Droits des Démunis (UACDDDD)

 

Au bout de deux semaines, on s'aperçoit qu'on ne va pas pouvoir faire le Forum. Déjà parce qu'il y a la guerre, au sens propre, et que toutes les frontières sont bloquées, les enlèvements deviennent fréquents, donc au niveau des déplacements on ne peut pas aller au-delà de Markala/ Segou au centre du pays. Puis il y a la question du temps également, car je comprends très vite que la temporalité de Paris et celle de Bamako ne sont pas exactement les mêmes... Partant de ce constat, Annie Pourre et Massa Koné (mon référent et Secrétaire Général de l’Union), me proposent, « sois tu rentres, sois tu peux donner un coup de main à l'Union en tant que militant ». Quitte à être là, j’ai pris la seconde option.

 

C’est une formation exceptionnelle, très belle mais très dure aussi. Avec Massa, on va dans les villages où il y a des expropriations de terrains, on se rend dans les quartiers où il y a des déguerpissements et des démolitions, il y a des luttes de partout, c’est un peu la ZAD tous les jours...

C’est aussi la découverte du fonctionnement de l’association qui est formateur : le conseil des anciens est souverain, c'est eux qui prennent les décisions de dernier ressort même si des jeunes veulent faire autre chose. Un fonctionnement très hiérarchique, très discipliné qui te change des codes des militants de gauche en France.

 

Je me pose des questions et j'en pose à Massa, j'ai des réserves sur cette hiérarchie stricte, mais le respect des anciens est tellement ancré qu’il est peu envisageable de changer là dessus, à tort ou à raison. Surtout ce fonctionnement jusqu’à preuve du contraire leur fait gagner des luttes, et pas des petites. Rendez-vous aux ministères, protocoles d’accord concernant des quartiers entiers…. Des victoires mais pas sans répression, des prisonniers, des morts aussi.

 

Je me souviens qu’un jour alors que je fais une réflexion sur le fait qu’à l’Union les adhérents sont obligés de participer aux actions, ce que je trouve un peu « autoritaire » , Massa me répond «Il y en a chez vous, en France, ils croient que l’on milite juste pour de belles idées, mais ici il faut gagner, et les gens s'ils viennent nous voir, ce n’est pas pour nos belles idées. Que j'ai un Tee-shirt du Che, ils s'en foutent, ils veulent gagner » . Ce jour là il marque un point, et un convaincu. Effectivement, si les gens viennent nous voir, ce n'est pas d’abord pour nos beaux principes , ils viennent parce qu’ils veulent un logement. Et répondre à ça, en les incluant dans une lutte collective c'est déjà répondre en partie à ton aspiration progressiste. Il faut avoir l’humilité d’accepter qu’à notre niveau se soit déjà beaucoup.

 

Là bas je participe aussi à monter un syndicat d’aides ménagères, les Barakadens (aides domestiques). Comme à Bamako les classes moyennes sont montantes, beaucoup emploient des jeunes filles pour faire les tâches ménagères certaines sont  exploitées et parfois victimes de violences sexuelles, le pire que l'on puisse imaginer. Le but de l'Union est de créer un syndicat d'aide-ménagère, l'ADDAD qui se développe partout en Afrique de l'Ouest. J’ai  aidé à faire des demandes de subvention à des fondations européennes qui sont axées sur le financement du syndicat, ça a plutôt bien fonctionné on a eu les premiers financements ainsi qui sont renouvelés maintenant.

 

Au début quand on me parle des barakadens, je me les représente de l’âge des militantes que je fréquente et qui sont d’anciennes barakadens, Sitan Fofana, Byntou Traoré, Fatoumata Marico, elles ont mon âge. Un jour elles m’amènent à une réunion avec un groupe de Barakaden à 22h, l’heure à laquelle elles arrêtent le travail. Et là on arrive, c’est dans une cour, je vois des jeunes filles entre 10 et 15 ans. Elles font des discours sur leur condition de travail et discutent de leurs revendications. C'était des enfants en train de créer un syndicat avec un discours très structuré.

Aucune n’avait lue d’auteur marxiste quel qu’il soit, d’ailleurs la plupart n’avait pas pu aller à l’école, le syndicat mettait en place des cours d’alphabétisation à cet effet, mais elles avaient une conscientisation et un discours construit sur leur condition, certaines avaient déjà  un enfant dans les bras…. Au milieu de la réunion elles ont fait une pause, car c’était l’heure de regarder une série indienne doublée en bambara sur la télé malienne. 40 minutes après elles ont repris, ça s’est fini vers 1h, elles reprenaient toutes le travail vers 5h… Assister à ce type de scène, penser que ces filles au plus bas de l’échelle sociale malienne, se sont motivées, réunies, organisées et aujourd’hui gagnent des droits sur leurs conditions de travail, ça donne quand même beaucoup d’espoir en l’humanité et en l’avenir.

 

Le Mali, je t’en parle longuement car je crois que c’est un tournant. Il y a un avant et un après. J'ai retenu beaucoup de leçons et été confronté à des contradictions et des dilemmes que j’évitais jusqu’ici.

 

Je me souviens qu'avec le Président de l’Union, Soungalo Koné, j'étais un peu l'invité d'honneur, parce que je venais de France et il m'invitait tous les matins dans sa cour, il parlait aussi bien français que moi bambara mais on arrivait à converser quand même. On égrainait les sujets de François Hollande qu’il préférait à Sarkozy,  à la question de la peine de mort. Lui il était pour la peine de mort et moi j'étais contre bien évidement, et là tu te retrouves dans une situation où tu te demandes « est-ce que des militants de gauche en France iraient militer sur une question commune avec des gens qui sont pour la peine de mort ?». Tu te retrouves à militer avec des gens avec qui tu n'es pas d’accord sur la question des mœurs mais avec qui tu es d'accord sur la question sociale, cela t’oblige  à accepter la complexité des choses.

 

C'est aussi ces questions-là qui m’ont interrogé par la suite, sur ce qui fait « commun » avec les gens. Il faut faire son deuil là-dessus, tu ne peux pas faire en sorte que la majorité de la population pense comme toi, mais tu peux faire en sorte de trouver des choses communes à partager. Après pour le reste je pense que c'est quelque chose qui se joue très tôt dans l'éducation, dans les débats d’idées et d’opinion et que les lignes avancent plus ou moins lentement selon les sujets, parfois sur des générations voire des siècles. C'est ce qui est dur à accepter quand tu es militant.

Retour à Toulouse.

Je suis revenu sur Toulouse en Janvier 2013. Je me souviens bien parce que c'était au moment où les troupes françaises arrivent… Sensation très étrange de quitter un pays où tu as vécu pas mal de choses et de savoir que ceux que tu quittes n’en ont pas fini avec la guerre...

 

En revenant sur Toulouse je reprends le militantisme au DAL. Je sais clairement que c'est là où je veux être et  militer. C'est là aussi que je saisis mieux le fonctionnement du DAL Paris, les familles maliennes à l’origine de l’association et ce qui se transmet de lutte en lutte : la solidarité, la discipline aussi, l’entraide.

 

Il serait intéressant de faire une thèse d'Histoire ou d’anthropologie là dessus, comment le DAL est un mouvement malien. C’est à dire, comment la structure familiale malienne a eu une influence sur un mouvement social français, cela nous renvoie à l'Histoire connectée. Mais je n'ai pas le temps malheureusement d’écrire cette thèse, si Emmanuel Todd me lit et qu’il veut financer, je suis partant !

 

A Toulouse les luttes se succèdent, réquisitions, actions, occupation de centre d’hébergement, campements, sans-abris, locataires HLM, petits propriétaires mêmes. Petit à petit on gagne des luttes de plus en plus importantes numériquement et symboliquement, sur le terrain mais aussi juridiquement devant les tribunaux. On perd parfois, mais franchement moins que l’on ne gagne.Il n’y pas de secret les victoires te mettent dans un cercle vertueux mais amènent aussi de plus en plus de personnes à nous solliciter.

On s’adapte avec nos petits moyens, on essaie d’intervenir sur beaucoup de sujets. Depuis 2016 il existe la campagne Un Toit Pour Apprendre avec notamment la FCPE et la LDH sur la question des familles à la rue ou menacées de l’être, nous avons aussi la Réquisition Abbé Pierre où nous développons de plus en plus des activités de solidarité et culturelles, les permanences qui s’étendent, un DAL Colomiers vient de se créer, les élections HLM qui s’approchent, les batailles judiciaires : Habitat Toulouse Métropole que l’on a fait condamner sur les élections et que l’on poursuit sur les discriminations, le droit à la ville avec la mini-série J’y suis J’y Reste. Le spectre de nos activités est très large, car la problématique du logement est très large.

 

Le DAL 31 est en pleine croissance et j’espère que cela va continuer tant que le problème du logement perdure, jusqu’à l’objectif final : un logement digne et décent pour tous. Pour ma part, je ne sais pas combien de temps encore je m’y investirais, il y a des périodes enthousiasmantes et des périodes plus compliquées, la souffrance des gens au quotidien, c’est parfois compliqué à gérer, surtout lorsque l’on a pas de solution immédiate. Si les ministres ou les élus municipaux venaient faire un stage d’un mois dans nos permanences, pas de doute sur le fait qu’une nouvelle loi facilitant la réquisition serait votée dans la foulée… C’est aussi un combat qui doit être mené au niveau européen, en poussant pour une harmonisation par le haut du droit au logement.

Voilà je ne sais pas si tout ça est très intelligible, j’aurais pu encore te parler du Mali pendant des heures, de Toulouse aussi et de la manière dont la municipalité la gentrifie au karcher, et ça c’est de la vraie violence sur le mode de vie des gens. Le quotidien c’est les permanences, des appels pour des conseils ou des renseignements, des informations à intégrer, des réunions, des négociations, des suivis de dossiers, coordonner les actions et la communication…C’est passionnant, tu rencontres des personnes exceptionnelles, mais c’est chronophage. J’essaie tout de même, plus qu’avant, de prendre du temps pour moi et mes proches. Quand j’ai des interstices de temps, j’écris un manuscrit à partir d’une des luttes que l’on a vécue, un des campements de 2016. Je ne sais pas si ça pourra intéresser un éditeur ou des lecteurs, en fait je le fais surtout pour moi, c’est aussi une manière de démêler. « Parler c’est parcourir un fil. Ecrire c’est au contraire le posséder, le démêler. » C’est d’Erri De Luca. Avec toi on aura parcouru le fil, à mon tour de démêler, pour mieux avancer et  un jour mieux passer la main.

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