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CASE DE SANTE

Un centre de santé à Arnaud Bernard

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(Case de Santé - 17 Place Arnaud Bernard, 31000 Toulouse)

 

Jérôme Host, j'ai 42 ans. Je suis devenu assistant social sur le tard. Ce n'est pas du tout ma formation de base. Je suis un des initiateurs du projet de la case de santé.

 

Au début nous étions une équipe de 3 personnes (les deux autres ne sont plus là aujourd'hui). Je suis le dernier du projet initial.

 

Charles Hambourg était un jeune médecin généraliste et le cerveau de ce projet. Il était en train de finaliser sa thèse au moment où l'on se rencontre et c'est lui qui a initié le projet. D'ailleurs sa thèse de médecine s'intitule « La Case de Santé, un centre de santé à Arnaud Bernard ». C'est ça qui nous a servi de base avec des arguments solides concernant la façon de s'organiser.

 

Il y avait aussi à l'origine, l'éducatrice spécialisée Mélanie Chadaigne qui est aujourd'hui salariée de l'APIAF. Moi, je n'étais pas du tout travailleur social à cette époque-là, plutôt militant associatif et c'est comme ça que la connexion s'est faite. Par nos réseaux militants.

En juillet 2005 nous formons une équipe de quelques personnes qui n'avaient pas vocation à tous être salariés. Nous travaillions tous quasiment à plein temps. On se retrouvait tous les jours ici aussi bien à l'écriture et à la réflexion et l'échange qu’aux travaux. Il faut savoir que ce bâtiment n'était plus habité depuis près de 20 ans, donc dans un sacré état.

On a mis la main à la pâte durant un an pour que ça devienne un local en capacité d'accueillir du public.

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(Photo archive : Le chantier de la case de Santé - 2005)

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(Local des usagé.re.s - 2019)

Quand on a ouvert en Août 2006, on a de suite été 4 avec le recrutement d'une infirmière pour compléter l'équipe et Mélanie et moi à cette époque-là on avait la fonction d'accueil. Ça a tenu 1 an comme ça puis très vite on a eu besoin de recruter un autre médecin.

 

Aujourd'hui, on est près d'une trentaine, mais ce chiffre est un peu trompeur. Depuis fin 2017, on a été retenu pour développer un projet expérimental autour de la médiation en santé avec l'idée de travailler sur le quartier Arnaud Bernard, le quartier des Izards et dans un troisième temps sur Empalot et d'aller développer des actions de médiation en santé.

 

Il s'agit là d'un financement et d'un recrutement autonome. Même si s'est porté par la Case de Santé, c'est une équipe qui fonctionne en autonomie. Certes ça a gonflé les effectifs, mais c'est bien distinct et sur 5 ans.

 

Sinon, ici, il y a 5 médecins, 4 travailleurs sociaux, 2 psychologues, 3 accueillants et 1 sage-femme. Il y a aussi une équipe de 3 personnes chargées de la coordination administrative

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(Accueil et salle d'attente- 2019)

L'idée de la Case de Santé est de proposer un lieu de santé de premier recours. Le premier recours se distingue de la seconde ligne de soin en santé, c'est l’hôpital, le spécialiste. Le premier recours en gros, c'est la médecine générale. En France, c'est généralement le médecin libéral dans son cabinet.

 

Dans d'autres pays le premier recours peut se diversifier. En Belgique, cela fait longtemps qu'il y a des maisons médicales, au Québec il y a les centres locaux de santé communautaire, etc.... En France c'est encore très libéralo-centré.

 

Donc un lieu de premier recours c'est un lieu où se rendent les gens quand ils ont un problème de santé, Pour nous, la santé c'est quelque chose de global. Ce n'est pas que l'absence de maladie, ce n'est pas que le traitement médicamenteux, la santé c'est un ensemble de choses qui fait que l'on est dans un état de bien-être. Il n'y a rien de révolutionnaire la dedans, c'est d'ailleurs la définition de l'OMS.

Comment l’OMS définit-elle la santé ?

«La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité».

En gros pour être en bonne santé il faut pouvoir accéder à un certain nombre de droits, il faut un logement, un travail et des revenus.

 

Partant de cette définition-là, pour nous le lieu de premier recours doit être capable de prendre en compte, de prendre en charge et d'accompagner les personnes dans l'accès aux droits à la santé également. Dit comme ça, ça parait évident mais c'est inexistant dans le paysage français. Il n' y a que nous (et maintenant quelques structures) qui cherchons à développer ça.

 

De façon institutionnelle il n'y a pas d'équivalent ?

Il n'y a pas d'équivalent, et ce n'est pas prévu. C'est d'ailleurs pour ça qu'on se retrouve encore 12 ans après dans ces bagarres-là. C'est quoi les problèmes qu'on a ? C’est quoi la position de la préfecture et la rupture des subventions ? C'est la difficulté qu'on a depuis le début de financer l’accès aux droits.

 

En France un centre de santé (puisqu'on est un centre de santé, c'est un statut particulier), il est financé par les actes de soins. Sauf que moi, assistant social, je ne facture pas d'acte de soin.

 

Comment mettre en œuvre cette idée de « santé globale » et du coup de la prise en compte des déterminants sociaux de la santé (Quelqu'un de mal logé va avoir des problèmes de santé), s'il n'y a aucuns financements pour ça ?

 

Nous sommes dans ce conflit depuis 2006. Dès le premier jour, l'ARS (Agence Régional de Santé), nous disait que c'était hors de question de financer quoi que ce soit. Aujourd'hui on perçoit près de 130 000 euros de l'ARS. En 2014, l'ARS a accepté de financer un poste d'assistant social. Pour nous c'était une victoire symbolique forte. L'argent de la santé peut et doit servir à financer l'accès aux droits liés à la santé.

 

Il y a cette idée de premier recours, de santé globale et la troisième idée qui est constitutive est cette idée de santé communautaire. Il s'agit de développer la participation des usagers, de tout ce qui peut être mis en place au niveau de l'autonomie d'une personne et de la capacité à prendre la parole et s’organiser collectivement autour des problématiques qui touchent les personnes (discrimination et santé, obstacles à accès aux droits, logement, santé et travail, quartier, etc...)

 

C'est également important, en tant que professionnel, de reconnaître la compétence des patients. Un diabétique depuis 20 ans a des connaissances et des compétences autour de sa maladie.

 

Il faut mettre en place un cadre qui favorise l’émergence de cette autonomie, pouvoir répondre à la demande des personnes souhaitant se regrouper. Dès le départ quand on a aménagé les locaux on s'était dit qu'il fallait un lieu à destination des usagés pour qu’ils puissent se rencontrer, créer des solidarités et s'organiser autour des problématiques communes.

 

C'est ça la santé communautaire telle qu'on la définit. C'est de permettre à la communauté (une communauté peut prendre différente forme comme la communauté des habitants d’Arnaud Bernard, la communauté des diabétiques ou des étrangers malades, etc....) de porter une parole pour se défendre et trouver des solutions collectivement.

Autour de ça, depuis 12 ans on a essayé, on a réussi et échoué, mais on expérimente différentes façons de concrétiser ces idées.

 

Sans prétentions, on est persuadés que l'on est sur le bon chemin. Le discours des politiques et des institutions nous donnent raison y compris dans le discours ministériel. Que ce soit le travail équipe, la place de l'usager, le travail autour de l'autonomie. Il y a d’ailleurs eu cet appel à projet sur l'autonomie des patients et médiation en santé.

Ministère des solidarités et de la santé: « Label concours droits des usagers de la santé » https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/parcours-de-sante-vos-droits/soumettez-votre-projet/

Nous avons été les seuls à avoir été retenus dans toute l'Occitanie. Nous étions sûrs que c'était un appel à projet pour nous, puisque c'est ce que l'on fait depuis des années et qu'on n'attendait que d'avoir des moyens supplémentaires pour mieux le développer.

 

On sait que l'on est regardé par de nombreuses institutions comme étant un laboratoire digne d’intérêt. Mais comme on défend des valeurs et qu'on est sensible aux injustices, qu'on a une posture politique dans notre pratique professionnelle, ça dérange. Donc il y a toujours à la fois cette méfiance, (en gros « c'est des gauchistes, il faut s'en méfier, ils sont incontrôlables ») et à la fois - et je pense que ça c'est notre grande victoire - le fait que personne ne peut nier que le travail est de qualité.

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(Salle de consultation - 2019)

Nous sommes comme un livre ouvert et il y a plein de domaine qu'on voudrait expérimenter, mais qui demanderaient des dérogations sur différents aspects qui pourraient se développer. Mais ça, ils ne savent pas faire et quand ils nous voient arriver ils ont peur qu'on vienne leur demander des sous. Ils ne voient que l'aspect budgétaire.

 

On leur disait souvent à l'ARS (quand on était en bagarre avec eux) qu'il y avait...

A cette époque-là, il y avait des ARS ou des Conseil Départementaux d'autres région comme le Nord-Pas-de-Calais qui entendaient parler de nous et venaient nous voir pour comprendre comment ça fonctionnait parce qu'ils avaient envie de développer des initiatives sur leur territoire.

 

Ça veut dire qu'on venait nous voir de toute la France et eux, sur leur territoire, ils n’arrêtaient pas de nous mettre des bâtons dans les roues. On a toujours été dans cette aberration-là au niveau local.

 

Ça a toujours été des rapports de force, rien ne nous a été facilité. Jamais ! Ça a toujours été un combat.

 

Quelles sont les modes d'actions que vous adoptez notamment à l'accès aux droits ?

 

On a défini des missions autour de l'accès au droit à la santé. Notre projet n'était pas forcément de s'adresser aux pauvres ou aux migrants. Au départ et l'idée qu'on défend encore aujourd'hui, c'est que cette forme d'organisation est une alternative à l'offre de santé de premier recours. Et cette offre peut intéresser toute la population, pas forcément que les pauvres ou les migrants. Ça peut être un modèle qui peut servir à toutes les villes, à tous les quartiers. C'est pour cela qu'on s’est installé à Arnaud Bernard, pour la mixité. Ça c'est une première chose.

 

Plus le temps passe et plus tu as un public qui se précarise par ce que tu as cette forme d'organisation qui répond mieux aux besoins des personnes qui sont le plus en difficultés.

 

Par exemple en 2006-2007 il y avait beaucoup plus de français à la Case de Santé. C'est vers 2008-2009 que la courbe se croise. Aujourd'hui on a une grande majorité, des migrants et de grands précaires. C'est une évolution du fait de notre organisation mais ce n'est pas quelque chose de calculé ou de voulu.

 

Après, autour des migrants, des Chibanis et des étrangers malades, on a mis en place des programmes spécifique.

 

Les publics c'est une centaine de nationalités différentes. Sur le centre de santé on compte à peu près 80% de migrants et sur le pôle Santé-Droit le travail des travailleurs sociaux c'est quasiment 100% de personnes étrangères. On a la spécificité (et ces dernières années encore plus) d'accueillir les situations les plus complexes, c'est à dire les gens en bout de course qui ne sont plus accueillit nulle part comme les demandeurs d'asiles déboutés ou les primos arrivants avec des pathologies lourdes, ce sont souvent des familles avec des gens malades, etc...

 

Le travail des travailleurs sociaux là-dedans c'est de concrétiser cette idée de la santé globale. C'est à dire que quelqu'un (je prends souvent cet exemple), un diabétique qui arrive en consultation médicale avec un diabète très déséquilibré et dont on détermine qu'il est à la rue et qu'il ne s'alimente pas à sa faim, tu as beau ajuster le traitement médicamenteux, tant que tu ne régleras pas son problème d'hébergement, sont diabète continuera à être déséquilibré.

 

L’hébergement, c'est une très grosse problématique. Donc nous passons énormément de temps à batailler pour que les personnes accèdent à l’hébergement.

 

Comment se passe une journée type ?

Concrètement, chaque matin les personnes en poste se retrouvent en réunion avant l'ouverture du centre de santé. Les travailleurs sociaux, psychologues et médecins se coordonnent en fonction des personnes qui vont venir dans la journée, ou revoient des situations compliquées qu'ils ont vus la veille et on se réparti ce qu'il y a à faire en pluri-disiplinarité.

Ce ne sont pas des professionnels qui travaillent les uns à côté des autres, c'est vraiment en complémentarité et en coordination et c'est ce qui fait la spécificité du lieu. On passe beaucoup de temps à se coordonner autour des situations.

Quels sont vos partenaires d'actions ?

Nous voyons à peu près 3000 personnes par an donc on travaille par définition avec tout le monde. On travaille tous les jours avec l’hôpital, tous les jours avec le conseil départemental ou avec la veille sociale (le 115). Mais également avec Act Up, Griselidis, tout le réseau, les CMP (centre médicaux Psychologique).

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(La permanence téléphonique du Pôle Santé Droits de la Case de Santé - 2019)

Financement :

Aujourd'hui on est à 50% d'autofinancement. C'est à dire qu'il y a 50% du budget qui est autofinancé par l'activité de soin, alors qu'on était à 25% il y a encore 4 ans.

 

Pour nous cette part d'autofinancement est un enjeu très important.

Après il y a l'ARS qui complète une part de financement sur des actions de prévention santé et sur un poste d'assistant social sur l'activité d'ouverture des droits à l'assurance maladie. Ça a été obtenu en 2014.

 

Ensuite il y a les services de l'état de moins en moins et là plus du tout.

 

Il y a également des collectivités locales (mairie, conseil départemental,...). Il y a aussi la CPAM en plus du remboursement des actes de soins qui nous accorde une subvention pour l'action sanitaire et sociale.

 

Fonctionnement : Autogestion

On a fait le choix d'une structuration la plus horizontale possible. Ici il n'y a pas de chef de service, il n'y a pas de direction. Ça c'est quelques choses inspirées de nos parcours militants qu'on a eu l'occasion d’expérimenter. On tient une structure depuis 12 ans, salariés (ce n'est pas pareil que quand tu es en collectif) avec un financement public d' 1000 200 000euro (cumulé avec le projet pilote).

 

Arriver à tenir un projet autogestionnaire dans ce cadre-là, c'est un petit exploit (rires). Encore aujourd'hui on expérimente, on ajuste, on invente. L'augmentation du nombre de salariés nous oblige a imaginer de nouvelles forme d'organisation et de nouveaux circuits décisionnels.

Aujourd'hui dans notre fonctionnement, on fait ce que l'on appelle une réunion de gestion une fois par mois sur une demi-journée, où sont prises les grandes décisions en assemblée des salarié.e.s. On est une association, donc on a un conseil d'administration qui est responsable juridiquement mais qui n'intervient pas dans la gestion au quotidien.

 

Puis il y a une structure intermédiaire que l'on appelle le « tripode ». C'est trois salariés de l'équipe qui se retrouvent une fois par semaine pour gérer les affaires courantes. Ce tripode est tournant, c'est à dire que tous les 6 mois l'équipe tourne.

 

Ce sont les aménagements que l'on a mis en place, parce qu'en assemblée plénière une fois par mois, tu ne peux pas gérer tous les détails. C'est ce tripode qui gère les affaires courantes, les demandes extérieures, les trucs du quotidien, ils prémâchent le travail, les ordres du jour, ils préparent des propositions concernant les grandes décisions.

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