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Gilles Bertin

Chanteur de Camera Silens – 1981 à 1986

Participe au braquage de la Brink's à Toulouse 27 avril 1988

Disparaît en Espagne jusqu'en 2016 où il se livre à la police à Toulouse

Reconnu coupable, il prend 5 ans avec sursis le 6 Juin 2018

Il aspire aujourd'hui à une autre vie.

"On a commencé la veille au soir mais on n’avait rien de prévu pour la suite.

On ne se projetait jamais dans le futur. Ni comme musiciens, ni comme punks, ni comme braqueurs.

On vivait réellement au jour le jour et on s'en foutait des conséquences".

(Gilles à la sortie du tribunal le 6 juin 2018 à Toulouse)

Gilles Bertin, un punk, un vrai. Ce n'était pas « sexe, drogue et rock n' roll » mais « braquage, toxicomanie et Oï ». Il n'y a rien de poétique là-dedans, mais la vie, la vraie. Tellement « No Futur » qu’après leur dernier gros coup tous ensemble, il ne savait pas où aller avec ses 11 millions de francs (2 M d'€ )... rien de prévu, en tout cas pas si loin. 28 ans après il revient mais sans prévenir qui que ce soit, pour ne pas déranger comme il dit. Sa femme, ses ami.e.s et membres du groupe Camera Silens (dont il était le chanteur) étaient là pour lui à sa sortie du tribunal. C'est en homme libre qu'il veut avancer dans la vie, sans dette mais en pouvant dire enfin son vrai nom à son jeune fils.

Gilles Bertin: Je suis né à Paris, mes parents sont venus s'installer dans la région de Bordeaux quand j'avais 11 ans. C'est donc là que j'ai passé mon adolescence et que la vie a commencé d'une certaine manière. Mais je suis d'origine parisienne.

 

Je suis parti de chez mes parents quand j'avais 18 ans. Je n’étais pas en conflit mais j'ai fait ma route. Je me suis fait des potes et voilà, je me suis retrouvé avec eux, le hasard quoi que les punks n'étaient pas une légion à Bordeaux, on était une vingtaine à tout casser et tout le monde se connaissait.

 

Je n’avais même pas 20 ans, c'était en 79-80. On vivait à St Michel à Bordeaux, à l'époque c’était un quartier espagnol populaire.

Ben Art Core: Qu'est ce qui t'as attiré dans ce milieu ?

G.B: La première chose, c'est la musique. J'écoutais du Rock N' Roll depuis tout petit mais dès que les Sex Pistols et les Rammones se sont pointés, je suis tombé dedans. C'était la musique avant tout. Avant le look, avant l'état d'esprit, avant tout ça.

 

Camera Silens a été mon premier groupe. On s'est rencontrés à Bordeaux et de suite on s'est mis à jouer sans aucun projet de futur. A l'époque on ne pensait qu'à s'amuser.

 

Au début ce n’était pas facile, il a fallu commencer par apprendre à jouer. On grattouillait, mis à part le batteur qui savait jouer. D'ailleurs dans les premier temps, c'est lui qui tenait la baraque et qui nous a fait progresser. C'était un bon batteur.

 

Ça nous a pris pas mal de temps. Avant de jouer, il a fallu trouver un local pour répéter et apprendre à jouer. Ça a pris quelques années. Je faisais Basse et voix.

Photo archive/( Camera Silens en concert)

A côté de ça, on ne faisait rien du tout. On squattait chez un pote en autarcie, on se suffisait à nous même, personne ne travaillait mis à part des petits boulots de temps en temps. Au cours de ces années j'ai dû bosser 3-4 mois.

 

On avait de gros problèmes avec cette société. On n’y arrivait pas. On ne voulait pas bosser, ça nous paraissait impensable. On n’arrivait pas à s'insérer. On sortait, on jouait, vivait.

 

Le SIDA c'est venu avec la drogue. Camera Silens tournait déjà, c'était 3-4 ans après, en 83. Ça allait très vite à cette époque.

 

En 79 je pars de chez mes parents, 80 je commence à squatter avec mes potes et on commence à répéter, 83 je prends de la drogue et en 86 je pars en cavale et je choppe le sida entre temps mais je ne le savais pas.

 

Je ne sais pas trop quand je suis tombé malade. Je l'ai su, enfin, je m'en doutais. En 88 tout le monde commençait à tomber malade et à mourir.

 

J'ai arrêté la drogue en 84 quand j'étais en prison donc c'était avant cette période.

 

B.A.C: Tu faisais quoi en prison en 84 ?

G.B: J'étais tombé pour cambriolage à cause de problème de drogue justement. J'avais pris 9 mois et j'ai fait 6 mois ferme.

 

Prison et sevrage

C'est quand j'étais en prison que j'ai décidé d’arrêter cette saloperie. Je n'y ai plus jamais retouché. Nous étions plusieurs dans ce cas-là. C'est justement là que j'ai rencontré mon pote Inaki un basque et mon pote Didier avec lesquels par la suite on a braqué la Brink's. Tous les trois on a décidé d'arrêter la drogue à ce moment-là et on s'auto-contrôlait.

 

Quand tu arrives en prison et que tu es toxicomane, tu es avec toutes sortes de délinquants, pas question d'être malade ou faible. J'en pouvais plus de me droguer, je n'ai jamais aimé cette saloperie, je suis tombé dedans et j'ai voulu me sortir de ça. En prison ça a été le moment ou jamais parce qu'il fallait être solide.

A la sortie, j'ai continué avec Camera Silens et on a enregistré un album. C'était une période étrange. Intermédiaire. Je continue la musique mais on n'arrive pas bien à en vivre, ça commençait à stagner et c'est là que je commence mon parcours de délinquant avec mes potes. C'était une période étrange.


La prison, je n’avais pas envie d'y retourner mais il fallait bien manger. Je n'arrivais toujours pas à m’insérer dans cette société et au lieu d'aller travailler et de poursuivre la musique comme une personne raisonnable l'aurait fait, je suis parti en prison.

Photo archive/ (camera silens le 15 novembre 1984 – bordeaux)

Camera Silens est une référence aux cellules d'isolement utilisées pour l'incarcération des membres de la Fraction armée rouge. Pour la génération de l’après-choc pétrolier de 1979, trop jeune pour avoir participé aux événement de mai 1968, la révolte est alors incarnée par les mouvements les plus radicaux du moment comme la RAF et la très militaire IRA (Irish Republican Army, Armée républicaine irlandaise) ou les célèbres Brigades rouges. Il est à noter que la proximité historique et géographique avec la frontière espagnole amène aussi une certaine fascination pour l'ETA-militaire qui combat de manière intense dans le Pays basque de l'après-franquisme et dont l'écho des bombes parvient régulièrement jusqu'à Bordeaux.

Toulouse: Comment on a atterri à Toulouse ? On était en cavale déjà, recherchés par la police donc on devait partir de Bordeaux. On est arrivés à Toulouse parce qu'Inaki connaissait des amis réfugiés basques, des militants anarchistes, c'était les contacts d'Inaki, on ne posait pas trop de questions.

 

Braquage de la Brink's: C'est venu doucement, tu commences petit et tu finis par de plus en plus gros, tu montes en puissance et il se trouve qu'on n’était pas complètement idiots. On était une dizaine de personnes dont des gens que je n'avais jamais vus, ils étaient là juste pour le braquage.

 

C'est le genre de chose que je n'arrivais pas à raconter au juge la dernière fois. C'est impossible à expliquer.

 

On a commencé la veille au soir mais on n’avait rien de prévu pour la suite. On ne se projetait jamais dans le futur. Ni comme musiciens, ni comme punks, ni comme braqueurs. On vivait réellement au jour le jour et on s'en foutait des conséquences.

 

D'un point de vue raisonnable, je ne peux pas donner d'explication, d'où mon problème pour expliquer au juge, d'où mes doutes. On était en totale rébellion, tout le temps énervés. C'était les années de plomb, toute l'Europe était embrasée à ce moment-là. L'Italie, l'Allemagne, sans parler des Irlandais et des Basques, ça brûlait de partout. En Grèce et en France aussi.

 

Nous n’étions pas des militants politiques et notre culture politique était assez légère. Vaguement anarchistes, vaguement nihilistes, réfractaires à toute autorité. J'ai croisé des militant d'ETA, surtout des commandos autonomes anticapitalistes qui étaient de mouvance anarchiste et pour eux c'était la même chose.

 

Il n'y avait pas de dogme ou de grande doctrine, Marx personne ne l'avait lu, Bakounine encore moins. Une bande de branleurs quoi (rires).

(Gilles le 20 juin 2018 à Toulouse)

Cavale : On est partis en cavale en Espagne. Il y avait Inaki, Didier, Phillipe Rose (un ami à moi) et on s'est séparés là-bas. Inaki et Didier sont partis de leur côté et Phillipe Rose et moi de l'autre. On avait du pognon mais on l’a vite dépensé. Au bout de trois ans il ne restait plus rien.

 

On prenait des précautions mais Inaki et Didier se sont fait rapidement chopper. Les flics étaient  sur nous d'ailleurs. Ils étaient certains que nous étions les responsables. Ils ont recoupés avec des trucs qui se sont passés à droite et à gauche sur Toulouse. En relisant le dossier, il apparaît qu'ils ont de suite montré ma photo aux témoins qui m'ont immédiatement reconnu. Donc de suite ils étaient au courant.

 

En Espagne, je suis resté deux ans, ensuite j'ai rencontré ma femme et on est partis au Portugal où j'ai ouvert une boutique de disques. Larguer les amarres et laisser tomber cette vie de délinquance,  renoué avec la musique. Ça c'est fait du jour au lendemain sans trop réfléchir. J'avais juste envie d’avoir autre chose qu'une vie de patachon.

 

La rencontre avec ma femme a été déterminante dans ma vie. Tu fais des projets. Pour peu que tu aies une vie sentimentale stable, tu commences  peut-être à te réinsérer d'une façon ou d'une autre, je ne sais pas.

 

La musique, plus question de monter un groupe, j'étais en cavale. Ma femme prenait de gros risques en étant avec moi donc il fallait être extrêmement prudent. A ce moment-là elle était étudiante en journalisme, études qu'elle a mises de côté quand nous sommes allés au Portugal et qu'elle a reprises quand nous sommes revenus.

 

Je me tenais informé par les journaux parce qu'à l'époque ça avait fait pas mal de bruit, donc ça me permettait de savoir ce qu'ils disaient et surtout ce qu'ils savaient. Au bout de 15 jours, plus personne n'en parlait.

 

Le braquage c'est en Avril, début Juin on est en Espagne et fin Août, Inaki et Didier se faisaient choper.

 

Portugal : Au Portugal, le sida débarque et je tombe malade en 95. Au début j'hésite mais pas longtemps, je me suis de suite dit, au bout de 15 jours de grosse fièvre, que c'était ça. Après je suis resté 6 mois sans aller à l’hôpital vu que j'étais en cavale. J'étais mourant.

 

Au bout de 6 mois, le frère d’un ami à nous, interne dans un hôpital à Santa Maria à Lisbone demande à son chef de service, « voilà j'ai un copain, etc... » donc on m’a interné à l’hôpital, on m'a fait le test qui évidemment était positif.

 

J'avais donné un faux nom et on ne m’a rien demandé. Au Portugal, on ne m'a jamais rien demandé, pas un seul papier. Ils m'ont donné des médicaments (beaucoup de médicaments), ça devait coûter une fortune et on ne m'a jamais rien demandé. Je dois dire qu’ils ont une sacrée santé publique, chapeau les portugais.

 

Ensuite on m'a rétabli tant bien que mal, je suis passé par des haut et des bas - des très bas même- mais on a gardé la boutique, je continuais à bosser une fois que j'étais un peu plus stabilisé parce qu'il n'y avait pas de tri-thérapie. Les premières années j’ai tenu sans rien prendre du tout puis en 2000 on décide de revenir en Espagne.

 

Là-bas, nous étions en périphérie de Barcelone dans un quartier populaire où les parents de ma compagne tenaient un bar, et on s’est mis à y travailler avec eux.


Je faisais profil bas. C'était un quartier très populaire, la drogue ils connaissaient, ils n’étaient pas du tout surpris. Aujourd'hui je suis maigre mais à l'époque je l'étais encore bien plus, j'avais une sale gueule et j'étais malade. Ils s'en foutaient, personne ne posait de questions, ils étaient habitués. C'était un quartier dur, ils avaient morflé avec la drogue. Dans les années 80 l’héroïne, c'était pire qu'en France. La catalogne et le Pays Basque, ils ont ramassé.

(Gilles le 20 juin 2018 à Toulouse)

Philip Rose, il avait repris de l'héro entre temps avant que je parte au Portugal donc on s'est séparés, je ne voulais plus de tout ça, c'était terminé. Il a fait un truc de son côté, il s'est fait chopper par les flics. Il a pris 7 ans de prison en Espagne. Après il a été extradé, il est passé au tribunal en 2004 au premier jugement à Toulouse (pour le braquage de la Brink’s).

 

Inaki et Didier : Ils sont morts. Ils ont été incarcérés mais ils ont été libérés parce qu’ils étaient malades. Ils sont tombés malades très tôt, Inaki en 90 et il est mort en 92 et Didier en 94/95.

 

J'aurais dû y passer comme tout le monde. Quand je suis tombé malade en 95, il n'y avait pas de tri-thérapie, je passe 6 mois avec de la fièvre, je suis rentré à l'hôpital j'avais perdu 30 kilos, j'étais cadavérique. J'ai eu beaucoup de chance, je ne sais pas comment je m'en suis sorti.

 

J'ai réussi à tenir mon traitement tout le long. Il a fallu jongler avec l'administration avec un faux nom, j'ai réussi à avoir une carte de sécurité sociale grâce à ma compagne qui s'est tapé les démarches, puis avec des faux papiers. Parce qu'en Espagne, au bout d'un moment, ils m'ont demandé des papiers quand même.

 

Enfant : J'ai eu un enfant avec ma première compagne à Bordeaux avant de partir en cavale, sa mère est décédée très tôt, il a été élevé par ses grands-parents et il a aujourd'hui 33 ans. C'est un grand garçon bosseur, il fait de la musique électronique.

 

En 2011, j'ai eu un second enfant. On l'a eu évidemment par fécondation in vitro.

 

Retour : Le fait de me rendre, on en avait parlé quand je suis tombé malade mais en 2011 quand mon enfant est né, on a commencé à en parler sérieusement. Mon retour a un lien direct avec mes enfants. Le premier que je voulais revoir, mais surtout le second. On voulait un enfant et il ne méritait pas de payer la vie que j'avais eue 30 ans avant. Il méritait d'avoir un père.

 

La question s'est posée : « qu'est ce qu'on fait ? » Je me rends. Je paye ma dette après on sera tranquilles. Mais c'était compliqué vu que je bossais au bar donc je laissais ma femme s’occuper du bar toute seule. C’est beaucoup de travail. Mais il fallait faire vite, le petit avait déjà 4 ans et plus on attendait et plus ça aurait été dur donc il a fallu prendre une décision.

 

Je savais que pour une attaque à main armé la peine maximale c'est 20 ans de réclusion criminelle. J'en avais déjà pris 10.

 

La question n'était pas combien je risquais, la question était de me rendre dans de bonnes conditions. Je suis allé voir un avocat : « je me rends pour telle et telle raison, mea culpa. Maintenant vous faites ce que vous voulez. »

 

Je n'avais prévenu personne, je ne voulais pas déranger. Je suis revenu en faisant profil bas. Il se trouve que tout le monde m'a bien reçu. Mais bon, tu ne débarques pas comme ça dans la vie des gens, 30 ans après. Le seul avec qui j'ai repris contact durant ma cavale, ça a été mon père en 2000 quand je suis revenu du Portugal. Je ne l'avais pas eu depuis 10 ans. On se donnait des nouvelles mais je ne parlais de rien. J'étais complètement parano. Mon père est décédé entre temps donc quand je suis revenu je n'en ai parlé à personne. Je n'avais aucun contact avec mon grand fils, avec ma belle-famille ou ma sœur. Personne, ni avec mes ami.e.s non plus et puis à l'époque, ça leur aurait créé des problèmes plus qu'autre chose.

 

Mon avocat était confiant mais il m'a dit que jusqu'au dernier moment il avait la trouille. Ils ne pouvaient pas me coller 10 ans, mais de la prison ferme. D'ailleurs j'avais fait mon sac. C'était plausible et fallait s'y attendre.

(Gilles Bertin, avec ses amis et membres du groupe Camera Silens à la sortie du tribunal -

le 6 Juin 2018 à Toulouse)

Maintenant j'attends d'avoir des papiers et que la mairie de Paris efface la mention « décédé » sur mon acte de naissance. Mais ça y est, je clôture 30 ans de vie.

Camera Silens:

Camera Silens est un groupe de punk rock français, originaire de Bordeaux, en Gironde. Désormais séparé, le groupe est actif entre 1981 et mai 1988.

Labels: Chaos Production, Euthanasie Records, Sirère Productions.

Membres

  • Gilles Bertin - basse, chant (1981-1986)

  • Benoit Destriau - guitare (1981-1988)

  • Philippe Schneiberger - batterie (1981-1982)

  • Éric Ferrer - basse (1983-1988)

  • Nicolas Mouriesse (alias Boubou) - batterie (1983-1984)

  • Bruno Cornet - batterie (1984-1988)

  • François Borne - saxophone (1986-1988)

 

Discographie

Albums studio

1985 : Réalité (autoproduction / 8000 exemplaires)

 

1987 : Rien qu'en trainant (autoproduction / 6000 exemplaires)

 

1987 : K7 Live Une dernière fois (Riot tapes - enregistré le 10 décembre 1987 à Clermont-Ferrand)

 

1992 : CD Best-of 84-87 (Sirène Productions / 2000 exemplaires)

 

2003 : Réédition - CD Réalité (Euthanasie Records - ETA009)

 

2003 : Réédition - CD Rien qu'en traînant (Euthanasie Records - ETA009)

 

2011 : éponyme LP (Euthanasie Records - ETA009)

Démos et compilations

 

1982 : Démo K7

 

1983 : Démo inédite

 

1983 : Chaos en France Volume 1 (compilation)

 

1983 : Grevious musical harm. (compilation)

 

1984 : Chaos en France Volume 2 (compilation)

 

1985 : Les Héros du peuple sont immortels (réédition CD en 1989) (compilation)

 

1987 : Comme hier / Une nuit (45 tours ; autoproduction)

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