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Jean Marc Rouillan

Membre  du M.I.L : 1971-1973

Membre des G.A.R.I : 1973-1974

Membre d'Action Directe : 1979-2018

"Je suis militant d'Action Directe pendant encore 3 mois puisque je suis le dernier à être en conditionnelle. Dans 3 mois, le 18 Mai 2018 au soir, l'histoire d'Action Directe sera terminée".

1er Partie : Histoire brève

Propos recueilli le 11/02/2018

 

On est obligé de parler de l'année 68 (dont c'est les 50 ans). J'étais très jeune, j'avais 16 ans, je n’étais pas branché politique. J'étais plutôt branché par la musique anglaise et par les groupes qui traînaient sur Toulouse.

 

Mais on a été entraînés par les événements (Mai 68). Je suis resté dans la mouvance militante, avec des vieux espagnols, des vieux anars de la CNT espagnole. L'agitation n'a pas cessé à la fin juin 68. Il y avait toujours des manifs, toujours des bastons, donc j'ai continué avec mes potes de lycée autour du « comité d'action lycéen ». On avait créé un groupe qui s'appelait « Groupe d'action libertaire, Vive la Commune 1871 » qui a fini par s’appeler uniquement « Vive la Commune » et qui faisait des petites opérations dans Toulouse et des petites bombes et cocktails Molotov, à toutes les manifs.

 

De fil en aiguille, j'ai rencontré des espagnols qui arrivaient de la région de Barcelone, des Catalans et des Basques.

 

Lors du procès de Burgos (où il y a eu 6 condamnés à mort), je suis parti au pays Basque et j'ai commencé à collaborer avec l'organisation ETA (Euskadi ta Askatasuna ).

 

Le procès de Burgos est un procès sommaire entamé le 3 décembre 1970 dans la ville espagnole de Burgos à l'encontre de seize membres de l'organisation armée nationaliste basque Euskadi ta Askatasuna (ETA), accusés des assassinats de trois personnes au cours de la dictature franquiste. Les mobilisations populaires et la pression internationale ont permis à six des inculpés d'éviter la peine de mort.

 

Je suis rentré à Toulouse et on montait des opérations comme voler des machines d'imprimerie qu'on leur repassait. Au bout d'un moment on nous a demandé si on pouvait faire la même chose avec les Catalans qu’avec les Basques, du coup on faisait les mêmes trucs : les machines à imprimer, les vidéos, etc...

 

Au bout d'un moment avec un camarade (qui a été tué depuis) on a dit qu'on allait faire de la lutte armée à Barcelone. On a commencé à passer de plus en plus à Barcelone et on a constitué un groupe qui s'appelait le « Mouvement Ibérique de Libération ». Au départ c'était le 1000 (le commando du 1000) puis ça s'est appelé le « M.I.L ». A ce moment-là on a réellement commencé à être un groupe armé. On continuait à voler des machines mais on a commencé à braquer des banques pour récolter des fonds et on a eu toute une activité de groupe armé. Ça c'était dans les années 71-72 et 73.

 

Ce groupe a été de plus en plus recherché par la police franquiste. On a fini par être démantelés en Septembre 73 et on s’est réinstallés à Toulouse. Mais comme il y avait un des nôtres qui devait passer en procès pour être condamné à mort à Barcelone, on a regroupé des personnes pour faire des campagnes politiques contre ces exécutions.

 

On a beaucoup frappé, mais on n’a pas réussi notre coup et notre camarade à été garroté (ça a été le dernier garroté sous Franco). En 75 les militants ont été fusillés, mais en 74  Salvador Puig i Antich à été garroté.

 

Garroter : Méthode d’exécution par strangulation très utilisé en Espagne pendant des siècles jusqu'à Franco.

Les dernières personnes, civiles ou militaires, exécutées en Espagne de cette manière furent l'anarchiste espagnol Salvador Puig i Antich et l'Allemand Heinz Chez, en 1974.

 

Donc on a continué pendant toute l'année à faire des trucs anti-franquistes en Europe (Italie, Belgique, France, un peu partout). Moi j'ai fini par être arrêté et traduit devant la Cour de sûreté de l'État les derniers jours de Décembre 74.

 

La Cour de sûreté de l'État est, en France, une ancienne juridiction d'exception qui avait pour but de juger les personnes accusées de porter atteinte à la sûreté de l'État. Elle concernait donc les infractions politiques. Elle fut créée en 1963 et supprimée en 1981.

 

J'ai été incarcéré à la prison de la Santé et on a commencé à communiquer avec des prisonniers italiens, avec des petits jeunes qui étaient des Autonomes.

 

Quand on a été libérés après la mort de Franco (le 20 novembre 1975 à Madrid), on s'est retrouvés plongés à Paris et à Milan dans les milieux Autonomes et dans les milieux de plus en plus violents de l'autonomie.

 

Dès le début à Paris, si on fonctionnait déjà avec les organisations qui existaient déjà en Italie comme « Action Révolutionnaire » à Paris il n'y avait pas d'organisation de lutte armée à ce moment-là.

 

Il y avait le NAPAP (Noyaux armés pour l'autonomie populaire), mais comme il y a eu des arrestations, il ne fonctionnait pratiquement plus. Donc on a regroupé les gens qui voulaient encore en découdre. On avait fait un truc au départ qui s'appelait la « coordination autonome politico-militaire » qui est devenu finalement « Action directe » quand le milieu autonome s'est effondré à la fin des années 78.

 

Après, Action Directe a fait son chemin...

 

Je suis militant d'Action Directe pendant encore 3 mois puisque je suis le dernier à être en conditionnelle. Dans 3 mois, le 18 Mai 2018 au soir, l'histoire d'Action Directe sera terminée.

 

C'était une autre époque, et à la fin des années 80 se termine « Action Directe », se terminent les « Brigades Rouges », puis la « RAF » se termine en 92 parce que nous étions des organisations qui vivions dans l'époque. L'époque a changé, ces organisations ne peuvent pas continuer à exister de la même façon dans leur radicalité. Les problèmes ont évolué depuis. C'est le triomphe du libéralisme. Il a fallu manger la défaite et après, voir qu'est-ce que l'on pouvait faire à partir de là.

 

Si je suis militant aujourd'hui, c'est que ma notoriété due au passé me permet de rencontrer des dizaines et des dizaines de réalités différentes qui se croisent très peu. Donc moi, je fais de la connexion. Aujourd’hui, ma seule militance c'est faire de la connexion.

 

Je vais dans les quartiers populaires, je vais à la ZAD, je vais voir les antifa. Mon essentiel par rapport à la militance, ce n'est plus dans l'action. On a l’âge de ses artères. Je ne vais pas faire un punchingball en manif.

 

 

Quand tu t'engages, arme à la ceinture et que tu sais que tu peux être tué le soir même, dans une semaine ou une année, ça amène a des conséquences graves dans ta vie, ta lutte. A ce moment-là, ça devient quelque chose de sérieux et tu essayes de faire les choses bien, par ce que si ça se passe mal, ça se passe très mal.

 

Quel est ton moteur ?

C'est la conscience que tu acquiers en avançant, de l'ennemi que tu as en face de toi. « Est-ce que tu vas accepter de revenir dans ses griffes ou pas ? »

 

C'est la grosse difficulté. Quand tu fais ce choix-là, tu touches une vraie liberté et c'est  une vrais liberté. Par ce que tu n'as plus de contrainte, tu n'as plus rien, tu n'as que le combat.

 

Cette vie est inacceptable. Le mortifère à une telle dose dans notre société, la grosse difficulté c'est de supporter, avant de lutter, c'est de supporter ça.

 

C'est le premier truc auquel j'ai pensé quand j'ai été confronté à la société extérieure et que j'en ai pris conscience, je suis allé voir les potes et je leur ai dit « mais comment vous acceptez ça, comment vous tenez dans une vie comme ça »

 

la société actuelle, ça n'a rien avoir avec la société que nous avons affrontée et connue.

Il y a un rapport de force actuel, tu es obligé de t'y plier, c'est-à-dire que si tu veux lutter, il faut faire des rencontres, il faut faire des conférences, coller des affiches, faire des tracts, peindre sur les murs, c'est obligé, c'est le truc qu'on te laisse encore faire quand c'est pas réprimé.

 

Il faut toujours tout recommencer depuis le début. Les communards se sont bien retrouvé après dans le syndicalisme et ça a dû être très dur pour eux de reprendre et d'aller bosser quand tu as connu une telle insurrection. Il faut réapprendre toujours.

 

Ça doit être très compliqué pour les jeunes. Je vois les problèmes qu'ont les insurrectionnalistes pour être dans le timing, avec l'époque c'est … On a eu la chance de vivre ça et toutes les joies que ça nous a procurées.

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