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Alexia Gakuba Murekeyisoni

Rescapée Tutsi du génocide au Rwanda

 

 

C'est en 1959 qu'on a commencé à tuer les Tutsis.

En 1963, il y a eu un petit génocide.

En 1966, j’ai failli être brûlée vive. A ce moment-là, j'étais enseignante.

En 1969, mon mari a obtenu une bourse d'études de médecine en France.

En 1973, Fin des études de mon mari ; retour au Rwanda.

En 1973, coup d'État contre Kayibanda, le premier président du Rwanda.

Fuite pendant sept ans au Zaïre (actuel Congo).

Réfugiée en France de 1981 à 2017.

Du 7 avril à Juillet 1994, génocide. Plus de huit cent mille morts.

En 2005, retour au Rwanda pour la première fois depuis 1994.

 

Avant, je m'appelais Alexia Murekeyisoni.

Alexia, c'est mon prénom catholique ; Murekeyisoni, c'est le nom hérité de mes parents et Gakuba, c'est le nom de mon ex-mari. Je suis divorcée. Ici, en France, on garde son nom de jeune fille. Je l'ai donc repris mais j'ai cinq enfants qui s'appellent Gakuba et j'aime porter leur nom.

 

Il y en a quatre qui sont en France et une qui est en Suisse. Les aînés sont nés ici en France.

 

Je suis venue en France il y a bien longtemps, en 1969.

Mon ex-mari faisait des études de médecine. Quand on s’est mariés, on est venus directement en France. Mes trois premiers enfants sont donc nés ici.

 

Il a terminé ses études en 1973. On est alors retournés au Rwanda, pensant qu'on allait y rester, mais à cause des histoires politiques de ce pays, qui ont commencé en 1959, on a fui. On est repartis en cachette et on est allés au Zaïre. On est restés sept ans au Zaïre. Là-bas non plus, ça n'a pas marché et en 1981, on est revenus en France. Depuis lors, on est ici.

 

Mon mari avait une bourse pour venir étudier en France puis repartir au pays. On n’a donc pas voulu rester ici parce que c'était malhonnête. Il était venu faire des études et on avait besoin de médecins chez nous. Il est donc parti mais la politique de notre pays n'a pas permis qu'on y reste.

Je suis restée six ans en France la première fois, mais mon ex-mari, lui, est resté huit ans.

 

 

Petite histoire du Rwanda

Les Allemands avaient colonisé le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie et on nous a réunis, mais la Tanzanie n'était pas d’accord.

 

Tout le pays était devenu catholique. Ils ont dit que, pour que le pays marche bien, il fallait que ce soient les Tutsis qui fassent des études parce que c’était eux qui devaient diriger le pays. Ils ont fait étudier beaucoup de Tutsis, plus que de Hutus, alors que les Hutus étaient majoritaires dans le pays.

 

Il y avait des Hutus qui étudiaient, ceux qui étaient près des missions (On appelle missions les paroisses). Ensuite, ils allaient au séminaire pour devenir prêtres. Ceux qui sont allés au séminaire sont devenus de très grands intellectuels, que ce soient des Hutus ou des Tutsis.

Pour diriger le pays, les Belges ne nommaient que des Tutsis. Ce ne sont pas les Tutsis qui ont pris le pouvoir, c'est le colonisateur qui le leur a donné.

 

Il y avait l'équivalent du Préfet -on l'appelait le chef- et des maires, les sous-chefs. La majorité des postes étaient donnés aux Tutsis. Alors, les Hutus qui avaient fait des études ont dit : « Pourquoi pas nous ? Nous devons avoir un chef hutu dans notre pays ! ». Ils avaient raison. Les intellectuels hutus ont commencé à s'en rendre compte dans les années 50.

 

Depuis les années 30 jusqu'en 1950, les Hutus qui avaient étudié disaient : « Mais nous, pourquoi on est exclus de la direction du pays ? » et ils ont réclamé leur place. Quelques intellectuels hutus ont dit qu'ils voulaient eux aussi être la classe dirigeante.

 

L'Église catholique et le gouvernement belge, depuis le départ, avaient soutenu les Tutsis.

Vers le milieu des années 50, les pays africains ont demandé leur indépendance. Au Congo, le Congo belge a demandé son indépendance, et qui demandait l’indépendance ?  Ceux qui étaient cultivés, ceux qui avaient fait des études ! Et ceux qui avaient fait ça, c’étaient les Tutsis.

- Ah, vous demandez votre indépendance, vous les Tutsis, mais si vous demandez votre indépendance, le pays ne sera plus catholique, ça sera des communistes ! 

 Le gouvernement belge a dit : « Non, non, non, si le Rwanda nous échappe, ce ne sera pas possible ! Alors si c'est comme ça, au lieu que ce soient les Tutsis qui continuent à gouverner, maintenant, on va faire le contraire.”

 Ils ont poussé les Hutus à faire la révolution sociale, comme en France avec la Révolution française.

 

Au Rwanda, les Tutsis gouvernaient, mais ils étaient vraiment en minorité. On disait qu'on était dix pour cent, mais il y avait le peuple, aussi. On était comme le peuple Hutu. On était pareils. Ce nombre représentait le Roi et la noblesse. La noblesse, on ne savait pas ce que c'était, c'est un mot français. Nous, on disait « Ifura ». Ifura, ça veut dire quelqu'un qui est bien, peut être physiquement mais surtout dans son cœur, quelqu’un d’honnête. C'était ça, la noblesse. Et eux, ils étaient bien. La noblesse, c’étaient les Tutsis, ces grands-là, aux longues jambes.

- Maintenant, faites la révolution sociale, comme en France ! 

 

Les premiers massacres

C'est en 1959 qu'on a commencé à tuer des Tutsis. D’abord, le roi a été tué. On dit souvent qu'il a été empoisonné. Après la mort du roi, ils ont poussé le peuple Hutu à tuer tous les Tutsis. Et ça, depuis 1959. Les Tutsis qui ne mouraient pas s'enfuyaient.

 

En 1963, il y a eu un petit génocide. En 1966, j'ai failli être brûlée vive. A ce moment-là, j'étais enseignante. On était trois enseignants dans une maison de fonction et on était tous les trois Tutsis. Comme à chaque fois qu'il y avait quelque chose, on chassait les Tutsis. Comme ils n'ont pas pu nous chasser, ils ont dit : « On va les brûler dans leur maison ». Finalement, c'est un de mes élèves qui est venu me dire : « Faites attention. Les habitants du quartier veulent vous brûler et ils savent où vous habitez ». On a été protégés, mais sinon, ça se serait passé comme ça.

 

En 1973, ils avaient tué ou chassé les Tutsis, mais il y en avait quelques-uns qui restaient dans le pays et qui souvent se débrouillaient pour vivre, qui avaient pu faire des études, travailler, gagner leur vie. Ceux qui n'avaient pas pu faire d'études faisaient du commerce. Ceux qui ne pouvaient pas travailler pour le gouvernement travaillaient pour des sociétés étrangères. Ils se sont dit : « On en a marre de ces Tutsis-là, qui font des études, qui travaillent ! Allez, on les chasse ! ». Ce ne sont pas que les intellectuels qui ont fui, ce sont tous les Tutsis, même les petits, qui ont fui en 73.

Les enfants allaient à l'école le matin et ils voyaient leur nom. Il ne fallait pas qu’ils entrent ; s’ils entraient, ils étaient morts. C'était comme ça. A l'université, pareil, à l'école secondaire, la même chose. Ils fuyaient, et il y a eu des morts.

 

 

Après 73, il y a eu le président Habyarimana (décédé en 1994) qui avait fait un coup d'État contre Kayibanda, le premier président du Rwanda. Le premier président du Rwanda, c'était lui qui avait dit : « Les Tutsis, vous devez vous soumettre à nos ordres où vous quittez le Rwanda ». C'est lui qui avait fait en sorte que les Tutsis ne restent pas dans leur pays, qu'ils ne puissent pas être engagés pour travailler et qu'ils soient tués. La fuite des intellectuels, c'était sous Kayibanda.

 

Habyarimana, chef militaire puis ministre de la Défense, a fait un coup d'État en disant qu'il allait instaurer la paix alors que c'était lui qui avait fomenté la fuite des intellectuels, mais personne ne le savait. C'est vrai qu'à ce moment-là, il n'y a pas eu de morts tutsis, mais il a fait tuer les membres de l'ancien gouvernement.

 

Pour les Tutsis qui étaient restés au Rwanda, c’était l'apartheid. Ils n'étaient plus des Rwandais dans leur pays, c'étaient des sous-hommes, des sous-femmes. Ils ne pouvaient pas étudier, ni travailler, même pas ceux qui étaient fonctionnaires ou avaient des diplômes.

 

Tous allaient à l'école primaire, mais après l'examen de Sixième, le concours national, ils disaient que les Tutsis ne devaient pas dépasser la Sixième ni aller dans le secondaire. Ils prenaient peut-être un pour cent des enfants qui étaient vraiment très intelligents, je ne sais pas, pour montrer que les Tutsis allaient à l'école, mais c'était vraiment une infimité. Et c’était comme ça jusqu’en 1994.

 

En 1994, ils avaient déjà préparé le génocide. Les Tutsis qui n'avaient pas fui, et les Tutsis qui avaient fui avant, et qui étaient revenus quand Habyarimana avait dit que c'était la paix, étaient là en 1994, quand il y a eu le génocide, la solution finale pour exterminer tous les Tutsis.

 

Le génocide a duré trois mois, d'avril à juin. On dit que huit cent mille Tutsis ont été exterminés, mais huit cent mille, c'est le calcul qu'on a pu faire. Il y a des morts qu’on n’a pas pu compter parce qu’ils avaient été cachés dans des charniers. On disait que les Tutsis, c'était dix pour cent de la population mais quand on dit qu'on en a tué huit cent mille... ça dépasse le million, en fait.

 

Donc, en 1994, c'était la fin, la solution finale comme ils disaient. Ils pensaient qu'ils allaient y arriver mais ils n'ont pas pu parce qu'il y avait des Tutsis qui avaient fui depuis longtemps. Il y en avait qui vivaient en Ouganda et qui avaient voulu rentrer au pays paisiblement, qui demandaient toujours à rentrer chez eux parce qu'ils vivaient toujours dans des camps, depuis 1959. En Ouganda surtout, mais en Tanzanie aussi, dans tous les pays limitrophes du Rwanda. Ils ont dit : « Ce n’est pas possible, on a notre pays et on n’y a pas été élevés, on est toujours dans des camps de réfugiés ! On ne veut pas devenir des Ougandais !»

Donc, ils ont voulu rentrer au pays paisiblement et ils ont demandé à Habyarimana. Réponse : « Non, le pays est trop petit ». Alors, ils se sont organisés. Au pays, il y avait des Hutus et des Tutsis, mais Habyarimana venait du nord du Rwanda. Il y avait aussi cette histoire de gens du nord et de gens du sud.

 

Donc, quand Habyarimana a pris le pouvoir, il a dit : « Ah ! Le sud, c'est plein de Tutsis et les Hutus du sud, c'est comme des Tutsis ». Pareil, ils n'obtenaient pas le même statut que les Hutus du nord. Donc, les Hutus du sud se sont mis du côté des Tutsis et ceux-ci se sont mis avec les Tutsis qui étaient à l’extérieur, ils les ont soutenus. Ils allaient rentrer paisiblement puisque Habyarimana était d’accord, il avait signé pour que les Tutsis viennent participer au pays.

Mais les durs de sa famille, sa femme, ont dit qu’avoir signé ça, ça voulait dire qu’eux allaient tout perdre. C'est pour ça qu'on l’a assassiné.

 

On l’a assassiné, sachant que s’il mourait, on allait dire que c’étaient les Tutsis qui l'avaient assassiné et comme ça, on allait tuer les Tutsis. Ils avaient tout préparé. Avant la mort d’Habyarimana, les armes étaient là ; chaque bourgmestre (c'est comme le maire) avait des armes, des machettes. Donc, quand Habyarimana est mort, tout de suite, -disons qu'il est mort le 6 au soir- tout de suite, les Hutus étaient en position. Les Tutsis se sont fait tuer à la machette et ça a duré deux mois.

Au bout de deux mois, les rescapés étaient très peu nombreux.

 

Et donc, le FPR est arrivé et a arrêté le génocide, mais très tard.

 

Le FPR venait de l'Ouganda. C'étaient des Rwandais, des jeunes qui avaient fui comme Kagamé (qui est le président actuel du Rwanda). Ses parents avaient fui en 1961, quand Kagamé avait 3 ans. Je connaissais ses parents ; ses sœurs étaient à l'école avec moi.

 

Ils étaient dans des camps de réfugiés. Puis ils se sont dit qu'il fallait rentrer, rentrer paisiblement, mais ils se sont entraînés militairement, au cas où.

 

C’est quand le gouvernement d’Habyarimana n'a pas voulu qu'ils se sont réellement entraînés pour rentrer dans leur pays. Il y a eu la guerre entre les soldats rwandais et le FPR. Ils se sont battus et les soldats rwandais ont perdu. Le FPR avait gagné sans qu'il y ait de génocide mais Habyarimana avait des amis à l'étranger. Il a demandé aux Belges d'envoyer des militaires et à la France d'envoyer aussi des armes. Les Congolais de Mobotou sont allés là-bas mais avec eux, c'était trop le désordre.

 

Le FPR aurait gagné si Habyarimana n'était pas mort et si les puissants n’avaient pas soutenu les organisateurs du génocide.

 

Les militaires du FPR étaient à l'intérieur du pays puisqu'ils attendaient les accords d'Arusha.

Arusha, c'est en Tanzanie. C'est là-bas qu'on devait négocier pour que les Tutsis du FPR et les militaires du Rwanda partagent le pouvoir. Ceux qui étaient au pays attendaient de se mettre avec les militaires du Rwanda pour composer l'armée Rwandaise

 

Les accords d'Arusha, concernant le Rwanda, se sont déroulés de juin 1992 à août 1993 en Tanzanie par étapes successives entre l'État Rwandais et le Front patriotique rwandais de Paul Kagame afin de mettre un terme à la guerre civile rwandaise commencée en 1990. Ce fut d'abord le ministre des affaires étrangères, Boniface Ngulinzira qui dirigea la délégation Rwandaise des négociations à Arusha. Il fut remplacé par le ministre Anastase Gasana qui mena les accords jusqu'à leur signature en Août 1993.

 

Quand le génocide a commencé, les militaires rwandais ont bombardé le Sénat où logeait l'armée du FPR. Aujourd'hui, le bâtiment est toujours là et on peut y voir les traces des bombes.

 

Je suis revenue, avec mon ex-mari, à la fin de ses études de médecine. Sa volonté était de travailler dans son pays mais il n'a pas pu le faire car il avait épousé une Tutsie : moi.

 

Quand je suis revenue avec lui, j'avais cette étiquette de Tutsi. J'étais enseignante et je n'ai pas pu enseigner. Mon mari, qui travaillait comme médecin, on l’a saboté (sic). C'est pour cela qu'on est allés au Zaïre.

 

Le mariage mixte n'était pas accepté. Un Hutu, s'il avait fait des études et qu'il avait une bonne place, surtout s'il était militaire, ne pouvait pas épouser une Tutsie. Le président Kayibanda, qui avait fait la révolution, avait une femme Tutsie mais ils ne voulaient plus que les mariages mixtes existent. C'est comme ça que nous, nous avons été chassés.

 

Comme mon mari était venu en France avant moi pour ses études, moi, j'étais restée au Rwanda. Quand il est parti, nous étions fiancés. Au bout de deux ans, il est venu se marier. Il avait payé mon billet d'avion, mais je n'avais pas de passeport. « Ah, il s’est marié avec une Tutsie ! Cette Tutsie-là ne doit pas partir ». Aller à l'étranger, en Europe, ce n’était pas pour les Tutsis. Donc, on a refusé que je parte avec lui. J'avais le billet, il me manquait le passeport. Alors, on est allés supplier le ministre de l'Education Nationale, qui était compréhensif et a fait que j'obtienne un passeport. Autrement, je serais restée au Rwanda.

 

Quand je suis partie, j'étais déjà fichée comme Gakuba et Tutsie. Quand nous sommes revenus, nous pensions que cette histoire était passée, mais ça nous est retombé dessus. Alors, on a fui au Congo (l’ancien Zaïre) où nous sommes restés sept ans. Ça n'a pas marché là-bas et, en 1981, nous sommes revenus en France.

 

En résumé, cette histoire n'est pas seulement la mienne. Il y en a qui ont vécu pire, ceux qui sont restés au Rwanda, qui ne pouvaient pas fuir et ne pouvaient rien faire. Ils avaient des idées mais ils ne pouvaient ni étudier, ni travailler pour ceux qui avaient des diplômes et puis, la solution finale les a exterminés.

 

Je n'étais jamais retournée au Rwanda avant 2005. J'ai appris qu'en 94, toute ma famille avait été exterminée. Je n'avais pas envie d'y retourner, même si on disait que le pays était redevenu paisible. Je me suis dit : « Je vais voir qui ? » Je ne sentais pas que c'était mon pays.

 

Finalement, il y avait des rescapés dans ma famille, de jeunes neveux qui avaient réussi à fuir avant le génocide, mais tous les adultes étaient morts. Alors, ces neveux m’ont dit de revenir et, depuis 2005, j'y retourne régulièrement. C'est la paix maintenant. Là, c'est mon pays alors qu'avant, non.

 

Jusqu'en 1959, le Rwanda était mon pays. Il ne l'a plus été jusqu'en 2005. Mais malheureusement, il n'y a plus mes ami.e.s de l'époque, mes frères et sœur, mes neveux et oncles, tous ont été exterminés.

 

A l’intérieur du pays, les Rwandais sont heureux, même ceux qui ont approché le camp de ceux qui ont commis le génocide. Tous les Hutus n’ont pas tué. Même ceux qui ont tué, ils ont fait des années de prison et ont demandé pardon. Les Tutsis qui restent sont là, minoritaires. Ils souffrent toujours. Il y a aussi les Tutsis qui sont venus de l’extérieur, qui avaient fui, et ça forme un peuple, et ça forme un pays totalement Rwandais.

 

Maintenant, ils sont tous Rwandais, il n'y a plus de Hutus, de Tutsis ou de Twas.

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